8/10Le Zapping

/ Critique - écrit par iscarioth, le 17/01/2007
Notre verdict : 8/10 - Parano show (Fiche technique)

Le droit de citation : un principe du droit français sur lequel repose le Zapping de Canal Plus. Pour donner une brève explication, chaque oeuvre audiovisuelle diffusée à la télévision est protégé par le droit d'auteur. On ne peut pas reproduire ces oeuvres sans l'autorisation des titulaires des droits d'auteur. Seulement, il existe des exceptions à cela, dont une exception appelée « le droit de courte citation ». Citer une oeuvre pendant une courte durée est autorisé, surtout si l'oeuvre produite ensuite revêt un caractère pédagogique ou informationnel.


Pédagogique et informationnel, le Zapping ? Ca se discute. Sur le premier point, en tout cas, on est d'accord : le programme investit la courte citation. Sur un peu moins de cinq minutes de Zapping quotidien, environ vingt « zaps ». Ce qui nous donne une moyenne de quinze secondes par séquence extraite. Une furtivité qui pose plusieurs problèmes. Tout d'abord, un problème de concentration. Les « consommateurs » réguliers du Zapping s'en sont certainement rendus compte, surtout s'ils regardent les compilations à la semaine ou à l'année, il est difficile d'avoir conscience, à chaque moment, du défilement des images. Les séquences s'emboîtent les unes aux autres. Sorties de leur contexte puis assemblées, ces images génèrent un sens nouveau, un discours. Si bien qu'il est parfois effrayant de remonter le fil de sa pensée, après avoir visionné le Zapping. Cas concret : le Zapping est terminé, je me lève pour aller me chercher une boisson dans la pièce d'à coté. Une phrase me vient en tête, je n'en comprends pas forcément le sens ni la provenance, mais elle est là, elle résonne. En faisant l'effort de savoir d'où m'est venue cette idée, je parviens à retrouver le fil de ma pensée, à dépister quel est l'imbriquement d'images qui m'a amené à cette « conclusion mentale ». Une prise de conscience qui peut effrayer. Les images, assénées, dénaturées, sorties de leur contexte puis retravaillées par l'intermède du montage génèrent un discours furtif, qui se forme clairement dans les esprits, mais dont il est toutefois difficile d'avoir conscience et de contrôler.

Le Zapping, une grande manipulation ? Mais comment est-ce possible ? L'émission est la plus neutre possible, la preuve en est qu'elle ne se permet aucun commentaire, ne faisant que rapporter des moments vus et entendus. Oui, mais. Il n'y a pas travail plus engagé et pernicieux que le travail de montage. Toute image montée est une image mise en scène et donc, une image engagée. L'enchaînement des images génère un discours. L'émission ne peut revendiquer aucune neutralité. On peut même définir une tonalité. Le zapping, s'il faut définir son esprit, est politique et pessimiste. Politique, dans le sens où il révèle les contradictions de chaque politicien à forte résonance médiatique. Pessimiste, dans le sens où le Zapping fait s'enchaîner les constats désastreux et alarmistes. Réchauffement climatique, fracture sociale, endettement, guerre, manipulations, mensonges, violences... Après une heure de Zapping, il vous prendra l'envie d'aller chercher le noeud coulant et de vous pendre, tellement l'imbécillité humaine est présentée, chaque année, comme incurable. Le paradoxe, c'est que le Zapping joue de ce discours alarmiste. Souvent, l'émission se fait la caisse de résonance des journaux télévisés propageant la peur, avant de citer les paroles d'un sociologue ou analyste des médias témoignant de la mécanique médiatique de la terreur et de la paranoïa. Le Zapping propage ce qu'il dénonce et dénonce ce qu'il propage. Ironiquement, le Zapping 2006 a été titré : « Parano Show ».

A la différence d'Arrêt sur images, qui fonctionne sur le même principe du droit à la courte citation, le Zapping ne laisse pas au spectateur le temps de cogiter. Celui-ci est gavé comme une oie télévisuelle d'images en tout genre. Impossible parfois, de suivre le rythme, de se concentrer sur la provenance de l'image, d'anticiper une contextualisation. On se prend tout dans la gueule, l'expression est appropriée. A la lecture de cette critique, les plus conservateurs d'entre nous, n'ayant pas encore découvert le Zapping par eux-mêmes, pourront s'exclamer qu'il faut interdire à tout prix cette émission dangereuse, partisane, qui détourne les images de leur sens originel. Ce serait faire bien peu confiance aux gens. Pendant longtemps, la lecture a été considérée comme dangereuse. L'Eglise et l'Etat avaient peur que les « mauvaises lectures » ne détournent les masses laborieuses du travail pour les amener sur les sentiers de la perdition et de la révolution. Il fallait alors interdire certains livres, pour protéger ces « lecteurs éponge » qui risquaient de s'imbiber des pires insanités. Beaucoup s'inscrivent dans le même mode de pensée, aujourd'hui, face à ce que véhicule la télévision. Dire que certains programmes télé sont dangereux aujourd'hui, c'est un peu comme quand on proclamait, hier, que certains livres étaient à proscrire.


Le Zapping fait peur autant qu'il peut être formateur pour l'esprit. Il s'agira pour le spectateur de prendre du recul avec ce qu'on lui montre, de se servir de ce qu'il voit pour rebondir sur de nouvelles réflexions. Là, on pourra considérer le Zapping comme hautement pédagogique. En résumé : le Zapping, comme une vérité terrorisante, non, comme un stimulant à la réflexion et à la prise de recul, oui.