Pourquoi y a-t-il autant de bonnes séries ?

/ Dossier - écrit par Hugo Ruher, le 29/05/2014

Il est fini le temps où l'on n'avait le choix qu'entre Charmed et 7 à la maison. Aujourd'hui, il est difficile de voir l'intégralité des bonnes séries qui coexistent sur les différentes chaînes. Pourquoi un tel progrès et une telle explosion de petits chefs d’oeuvres ? Krinein a sorti le béret et la pipe pour mener l'enquête. Oui, c'est une métaphore.

Ça nous est tous arrivé. On croit être à jour sur les bonnes séries du moment, on a bien révisé nos classiques, on suit la diffusion US et on sait même quand arrive la pause de mi-saison et si des spin-offs sont envisagés. Pourtant, au détour d'une soirée, entre deux bières et un paquet de chips retentit la phrase sinistre qui va vous hanter : « Comment ? Tu ne connais pas Truc ? Mais c'est énorme, c'est la meilleure série depuis Machin. Regarde au moins les trois premières saisons pour te faire une idée. » Il est tard lorsque vous rentrez chez vous. Les yeux brillants et le crâne résonnant de musiques de génériques, vous vous dirigez sur Wikipédia pour vous renseigner sur tout ce que vous avez entendu au cours de la soirée.

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi tant de bonnes séries se partagent l'affiche ? Il y a plusieurs facteurs d'explication qui peuvent permettre de comprendre pourquoi on vit dans un monde où il est nécessaire d'avoir vu Game of Thrones, Mad Men, Breaking Bad, Walking Dead, Homeland, House of Cards et j'en passe.


Say my name!

Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse.

Pour certains, c'est une prise de conscience que la télévision, au même titre que le cinéma, pouvait être source de création artistique. Aux débuts de la télévision, cette petite lucarne était considérablement boudée par les professionnels du grand écran. C'est justement lors de son apparition que le cinéma a sérieusement commencé à se considérer comme un art à part entière. Jean-Luc Godard, qui a beaucoup contribué à faire du cinéma autre chose qu'un simple divertissement a même dit « Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. » Un état d'esprit qui montre bien le mépris (oui, j'ai dis Mépris et Godard dans le même paragraphe, je suis génial) vis-à-vis de ce sous-cinéma, de cette poubelle de l'art.

Pourtant, les temps ont changé, et la télévision est devenu un média de masse, bien plus fréquenté que le cinéma si tant est qu'on puisse faire une comparaison. Les succès d'audience ont commencé à attirer des grands noms du cinéma dans le monde de la télévision. C'est ainsi qu'on trouve Dominic Monaghan qui passe du Seigneur des anneaux à Lost, ou encore Quentin Tarantino qui se met à la réalisation d'un épisode des Experts.


Sur petit ou grand écran, Buscemi est toujours autant... Buscemi..

Télé, Cinéma, même combat?

Mais outre ces têtes d'affiche affriolantes, la réelle évolution a eu lieu avec l'évolution des contenus eux-mêmes. Devant le succès de séries atypiques comme Nip/Tuck ou 24 heures chrono, les diffuseurs se sont accordés davantage de prise de risque. Ceci s'est concrétisé aux Etats-Unis par la très violente The Shield et en France par la quasi-totalité des créations originales Canal+ qui ont bouleversé le paysage dominé par Julie Lescaut et Navarro.

En réponse à ça, la différence cinéma/télé en ce qui concerne la qualité des programmes diffusés en a pris un coup. La frontière entre les deux est devenue de plus en plus mince, que ce soit en termes de qualité ou en termes de protagonistes. De nouvelles séries ont débarqué avec des moyens qui n'ont rien à envier au cinéma. Je pense notamment à Lost puis, plus tard, à Breaking Bad. Et de nombreux acteurs habitués au cinéma sont passés de l'autre côté. On retrouve le grand Kevin Spacey dans l'excellent House of Cards, Steve Buscemi dans le très bon Boardwalk Empire, Tim Roth dans le génial... le bon... le passable... la daube Lie to me.


Comment ça cette série est malsaine?.

La télévision est réellement devenue légitime pour le monde très fermé du cinéma. C'est un autre moyen d'expression qui attire à la fois, les stars, et du coup, les investissements.

Une question de public

Mais l'audience seule n'explique pas l'explosion du nombre de très bonnes séries. En vérité, les meilleures audiences se font encore sur des séries moins prisées par la critique. En tête, Grey's Anatomy, Mentalist ou Les Experts. Ce qui n'empêche par l'explosion de séries de genre comme la fantasy dans Game of Thrones ou l'horreur dans The Walking Dead.


Dans The Walking Dead, on taille plus souvent les gorges que les barbes.

 

Il y a donc une autre explication à cela, et à mon humble avis, il faut chercher davantage dans le mode de consommation des séries. La question à se poser est la suivante : quelle est la différence entre un public de cinéma et un public de série ? Il y a encore quelques années, on considérait que les gens qui allaient au cinéma y allaient pour voir le film en question, jusque là tout va bien. Mais ceux qui se retrouvaient devant une série étaient bien souvent ceux qui cherchaient quelque chose à voir le soir. Et même si une partie du public suivait assidûment tel ou tel programme, ce qu'on suppose être une majorité (car ces données sont difficiles à évaluer), ne regardait qu'occasionnellement en fonction de ses autres activités.

Quand on connaît ces conditions, on essaye de s'adapter et à faire des séries qu'on peut suivre occasionnellement. Si vous vous retrouvez par hasard devant un épisode de 24 heures chrono alors que vous n'avez pas vu les trois précédents, il y a des chances que vous décrochiez. En revanche, si, les pieds sous la table et la pizza livrée, il n'y a rien d'autre que NCIS, il y a des chances que vous restiez puisque après tout, c'est un moment de détente qui en vaut un autre. D'où l'explosion de ces séries où chaque épisode peut se regarder indépendamment des autres.


J'ai hâte de voir les épisodes où Jack dormira huit heures d'affilée.

 

Les séries télé, c'est pas qu'à la télé

Mais, car il y a un mais, avec Internet, les replay, les téléchargements légaux ou illégaux... La consommation est devenue plus individuelle. Il n'y a plus besoin d'être sur M6 tous les mercredis pour suivre votre série préférée, il vous suffit de la regarder plus tard, les moyens ne manquent pas. Ce changement de comportement bouleverse totalement la vision qu'on a des séries. Maintenant qu'il est beaucoup plus aisé de suivre une série d'un bout à l'autre, les séries s'adaptent à un nouveau public plus investi, plus exigeant.

Pour moi, deux séries ont marqué cette transition : Dr. House et 24 heures chrono. La première a joué un rôle d'entre-deux en proposant à la fois une bonne série qu'on pouvait suivre occasionnellement sans être perdu, mais également un fil rouge qui devient de plus en plus prégnant et qui amène les fans plus investis à toucher davantage la psychologie des personnages. Pour le public occasionnel, ce fil rouge n'est pas gênant par rapport au déroulement de l'épisode, et pour les fans, il apporte une plus-value extraordinaire qui fait de cette série un phénomène. En ce qui concerne 24, la série a apporté un nouveau mode de consommation avec des épisodes en temps réel et une structure qui encourage le binge-watching. « Pouhooo l'autre hé ! Il se la pète avec des mots anglais ! » Il s'agit du fait de regarder toute une saison d'une traite, comme un marathon. D'ailleurs, Canal+ a diffusé 24 en deux fois, deux nuits de suite si mes souvenirs sont bons.


Je suis un héros de série populaire, et je vous emmerde.

Après le succès de ces séries, les créateurs sont allés plus loin en proposant des séries où il est indispensable d'avoir vu les épisodes précédents pour apprécier et comprendre le programme. Avec Internet, le succès d'une série s'explique moins, voire pas du tout, par la pertinence de sa case horaire et son adéquation avec un public-cible. Comme on peut facilement regarder une série quand on veut, sans attendre la sortie DVD, cela encourage les diffuseurs à multiplier les séries dites de niche, qui draineront un public peut-être très ciblé, mais fidèle, suivant chaque épisode.

Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, ces séries de niche ont tout de même une grande visibilité. Des séries comme Game of Thrones ne pulvérisent pas les chiffres d'audience, car c'est contraignant de se poser devant la télé en prévoyant de se libérer tous les lundi soir pendant 10 semaines. Pourtant, il s'agit de la série la plus téléchargée et toute la communication qui est faite passe essentiellement par Twitter et Facebook.

Mais le public fidèle ne fait pas tout et des séries qui ont l'air très populaires sont souvent des gouffres financiers. C'est le cas de Community qui enchaîne les audiences catastrophiques mais qui est incroyablement soutenue par une communauté (ben oui) de fans très fidèles et très actifs, notamment sur les réseaux sociaux. Seulement, les annonceurs, qui sont quand même des financeurs très dominants pour la plupart des chaînes, se fichent totalement que le public soit fidèle, ils veulent qu'il soit nombreux. Ce qui provoque de nombreux conflits entre les chaînes et le public. Il n'y a qu'à voir les débats autour de l'arrêt de Community.

C'est le mode de consommation qui a, selon moi, considérablement fait évoluer le monde des séries, jusqu'à proposer une avalanche de titres à la fois de très grande qualité, et aussi profondément différents. L'individualisation de cette consommation a permis, non seulement, un affranchissement des cases horaires très rigides de la télé, mais aussi une fragmentation du public où les diffuseurs ne cherchent pas forcément à plaire au plus grand nombre. Ce qui explique la multiplication de séries de niche.

Cette tendance encourage le renouvellement, la prise de risque, et le respect du public qu'il faut fidéliser, et ne pas sous-estimer. On peut donc en espérer le meilleur pour les années à venir.